Depuis quelques mois, les populations de Bignona élèvent la voix pour demander la construction d’un hôpital de niveau 2. Selon les personnes interrogées, le centre de santé de ladite localité, n’apporte plus les offres de services de soins attendues par les patients.
BIGNONA – Sur le principal couloir de l’un des plus vétustes bâtiments du centre de santé de Bignona (région de Ziguinchor), des patients et leurs accompagnants entrent à tour de rôle à l’intérieur de la salle de consultations. Masques sur des visages, nous sommes bien loin de l’époque des restrictions, de l’époque où une simple toux éveillait des soupçons d’une contamination au redoutable virus de la Covid-19. Par moments, le vent déchaîne le sable et impose à tous, de cacher leur visage pendant un instant. Puis, un véhicule s’arrête au seuil du bureau du médecin-chef du centre de santé. La pièce à la peinture dégradée, fait aussi office de salle de consultations. Ici, il n’y a plus de moyens pour transporter les malades alités. Les chaises roulantes, couvertes par les toiles d’araignées, et déposées loin derrière, sont inutilisables. Deux jeunes hommes, des accompagnants, d’un air dépité, semblent n’avoir aucune idée face à leur patiente. Une septuagénaire dont le gémissement en dit loin sur sa souffrance. « Portez-la comme font les secouristes », lance un homme vêtu de blouse verte. Il se précipite en indiquant aux deux accompagnants la direction de la salle de consultations. Ce service fait face au bâtiment d’hospitalisation. En face, de grands arbres aux feuillages verts. C’est sous ces ombrages touffus que des hommes et des femmes s’étalent, de jour comme de nuit, sur des nattes, éparpillant par-ci et par-là des sacs et des habits. « L’accueil est problématique », se plaint Abdoulaye Abass Coly. « C’est à l’air libre que nous passons la nuit à la merci des moustiques et de la poussière », poursuit cet habitant du village de Djilongue, dans la commune d’Oulampane, à trente kilomètres du centre de santé de Bignona. Les conditions d’accueil indisposent tout le monde. Ainsi, certains préfèrent retourner à leur domicile avec leurs patients pour y recevoir des soins. C’est le cas de Bernadette Rita Coly. Elle raconte avoir passé une nuit dehors sous une tente avant d’exiger au médecin traitant un bon de sortie. « J’ai été dans l’impossibilité de tenir. J’ai demandé par la suite au médecin de nous libérer. Je lui ai tordu le bras pour sortir », se souvient la quinquagénaire dont le père ne s’est malheureusement par tiré d’affaire.
Le centre de santé de Bignona fait partie des trois structures du département. Il reçoit des patients de Diouloulou et de Thionck Essyl, les plus grandes communes du département. Mais, à cause d’un faible plateau technique, des malades sont référés à Ziguinchor pour la plupart des cas. Pour mettre fin à ces difficultés, les populations réclament la construction d’un hôpital de niveau 2. Cela permettra d’éviter des évacuations sanitaires.
10.847 évacuations vers Ziguinchor
D’après le rapport de la Plateforme de défense des intérêts de Bignona, « De 2015 à 2017, le département de Bignona a effectué 10.847 évacuations vers Ziguinchor. Pourtant, Bignona est le département le plus vaste de la région, avec une superficie de 5.292 kilomètres carrés ; soit 72% des trois départements de la région de Ziguinchor ». La Plateforme de défense des intérêts de Bignona est une organisation qui milite pour la construction de l’hôpital de niveau 2. Selon ses membres, le centre de santé n’est plus en mesure de prendre en charge les besoins sanitaires de la population estimée à 284.897 habitants.
Certains services, comme l’ophtalmologie, étaient très sollicités. Les patients venaient de Ziguinchor et même de Sédhiou pour se faire traiter. « Chaque lundi, le couloir était bondé de malades. Mais, depuis le départ à la retraite de l’ophtalmologue, le niveau de fréquentation a baissé. Aujourd’hui, les malades sont renvoyés à Ziguinchor. Cette nouvelle donne n’est pas sans conséquence », a témoigné un habitant de Bignona sous le couvert de l’anonymat. Il est conforté dans ses propos par Abdoulaye Coly, originaire de la commune de Tenghory. Selon lui, « des personnes âgées, qui suivaient un traitement pour des pathologies de vision, ont arrêté de venir dans ce centre, parce qu’il n’y a plus d’ophtalmologue. Certains parmi eux ont perdu définitivement la vue ». La construction d’un nouvel hôpital permettra de résoudre toutes ces questions. « Nous voulons disposer d’un hôpital de niveau 2, comme c’est le cas pour Mbour, Tivaouane, entre autres localités. Cela permettra de créer de nouveaux services, mais aussi d’alléger la tâche du médecin-chef qui consulte au moins 50 patients par jour », a indiqué le médecin-chef du centre de Bignona, Dr Saloum Diémé.
Examen para clinique
Famara Diédhiou, ancien infirmier au centre de santé de Bignona, abonde dans le même sens. Pour lui, la structure ne répond plus aux normes. « Chaque jour, les unités qui sont dans le centre effectuent des évacuations. « Même l’examen para clinique se fait à Ziguinchor ; rien que le scanner peut vous coûter 30.000 FCfa, sans compter le coût du transport », ajoute-t-il. Cet habitant de Tenghory a servi pendant plus de 20 ans dans cette structure. D’après lui, avant son départ à la retraite, chaque semaine, au moins 30 malades étaient transférés à Ziguinchor. Ce nombre a évolué au fil des années. « Ce qui fait que la majorité des malades hospitalisés à Ziguinchor habite à Bignona », soutient El hadji Koma, président du comité de santé du centre de santé de Bignona. Il recevait, consultait et orientait les malades. Il a reconnu que la structure fait face à de nombreux défis. « Le plateau technique n’étant pas élevé, nous sommes obligés de référer les malades tout le temps, pour diverses raisons », confie-t-il. Pour les cas qui ne nécessitent pas une urgence, le centre de santé collabore avec des médecins du département de Ziguinchor. « Il s’agit de l’orthopédie, de l’urologie… Ils viennent à Bignona sur rendez-vous pour traiter les patients sur place », a indiqué Dr Diémé.
Jonas Souloubany BASSENE (Correspondant)
Près de 175 000 personnes enrôlées dans les mutuelles de santé
Les mutuelles de santé de Bignona jouent un rôle important dans l’accès aux soins. Au total, 174.759 personnes sont inscrites dans ces structures dont 159.000 prises en charge par l’État.
Depuis la mise en place, en 2016, des mutuelles de santé dans le département de Bignona, de nombreuses populations ont adhéré à ces structures, afin de pouvoir se faire soigner sans souci. Selon Siakha Goudiaby, chargé du Suivi des organisations de mutuelle de santé de Bignona, depuis 2012, 15.759 personnes ont été inscrites individuellement. Ces dernières s’acquittent correctement de leur cotisation. En plus de ces adhérents, 159.000 autres sont pris en charge par les services de l’État. Il s’agit des bénéficiaires de la bourse de sécurité familiale, du plan Sésame, de la carte d’égalité des chances, des personnes enrôlées dans la Couverture maladie universelle « Cmu Daara », des élèves, des personnes victimes de handicap et des sujets âgés. Au total, 174.759 sont abonnés aux mutuelles de santé.
« Cependant, les populations, soutenues par l’État, doivent de l’argent aux centres de santé et aux mutuelles, parce que la plupart d’entre elles sont référées vers les hôpitaux de Ziguinchor », s’est désolé Siakha Goudiaby. Il a informé que tous les adhérents des mutuelles de santé sont pris en charge à hauteur de 80%.
Cependant, les évacuations sanitaires vers Ziguinchor coûtent cher aux mutuelles et au centre de santé de Bignona. À cela, s’ajoutent les prestations des spécialistes qui viennent sur rendez-vous consulter certains patients ; en particulier des personnes âgées. Ces dernières sont payées par les mutuelles de santé.
Jonas BASSENE (Correspondance)
Déficit d’ambulances et de corbillards
Le transfert en urgence des malades, du centre de santé de Bignona vers les structures de santé de Ziguinchor, est devenu un fardeau depuis la panne de la seconde ambulance. « L’unique moyen logistique encore en bon état parcourt chaque jour le tronçon de 120 kilomètres entre Bignona et Ziguinchor », a confié Chérif Coly, ambulancier au centre de santé de Bignona. Selon lui, la deuxième ambulance est à l’arrêt à cause « d’une défaillance d’organes et de la batterie ». La défaillance de ce véhicule qui assure le transfert des malades vers Ziguinchor est dû à la forte utilisation de ces engins. Le département de Bignona est aussi dépourvu de corbillard, les familles endeuillées font appel aux ambulances pour transporter leurs dépouilles. « Nous savons que c’est interdit, mais nous n’avons pas le choix », reconnaît Lamine Boye, responsable des ambulanciers. « Il y a certaines populations qui rouspètent quand l’ambulance sollicitée ne vient pas à temps. Elles oublient que ce n’est pas le rôle de l’ambulance d’acheminer un corps au cimetière », a expliqué Ousseynou Coly, responsable de la morgue. Il demande aux fils de Bignona d’offrir un corbillard afin de préserver les ambulances du centre de santé. Jonas BASSENE
Source : https://lesoleil.sn/acces-aux-soins-les-population...